Chacun prépare sa propre mort…
Un dicton assez “violent” et pourtant représentant l’une des plus grandes traditions des Antilles françaises: le Ti-Punch.
Qui d’entre-nous, ayant voyagé ou vécu en Martinique, en Guadeloupe ou même en Guyane, n’a jamais entendu quelqu’un dire : “Ba mwen an CRS si ou plé…” ? (donnez-moi un ti-punch s’il vous plaît). Car oui, le ti-punch se décline sous pleins de petits noms comme le fameux CRS (citron, rhum, sucre), le Ponch, le feu, le sec ou encore en fonction de l’heure de la journée allant du “décollage” tôt le matin, au “pété-pié” avant d’aller se coucher.
Tout un art donc autour de cette boisson, qui fait bien évidemment partie des traditions gastronomiques créoles (et qui selon moi devrait également faire partie du patrimoine immatériel mondial de l’UNESCO, enfin ce n’est qu’une idée…). Mais avec l’arrivée des tendances du bar, de la mixologie moléculaire et j’en passe, nous aurions tendance à en oublier ce qu’est finalement le plus simple cocktail du Monde ! Une journée internationale du ti-punch a d’ailleurs été créée par la Confrérie du Rhum et se déroule tous les ans à la date du 16 mars !
Nous allons donc récapituler pour ceux d’entre-nous qui auraient séché les cours au moment de l’apéro (même si mon petit doigt me dit que nous ne sommes pas nombreux!). Les ingrédients de base du Ti-Punch sont simples: du citron vert, du sucre roux, du rhum blanc et… C’EST TOUT !
(Pour les personnes qui le préfèrent frais, au lieu d’y ajouter des glaçons qui risquent de finalement le diluer, je vous conseille de soit mettre vos verres au frais avant de les utiliser, ou bien de mettre votre rhum au congélateur. Effet garanti!)
Ces trois ingrédients se retrouvent dans beaucoup de cocktails à base de rhum et souvent avec peu d’autres ingrédients en fonction de l’origine du cocktail, comme le Daiquiri cubain ou encore la Caïpirinha brésilienne, mais même si ces préparations utilisent les mêmes ingrédients, la recette n’est pas la même et le résultat en est donc complètement différent (des spaghettis, des farfalles, des tagliatelles, toutes à base de farine, d’œuf et d’eau, mais pas le même résultat!).
Bref, commençons par le commencement, avec le citron. Nous pourrions prendre n’importe quel vulgaire citron vert pleins de pesticides sortie tout droit du supermarché du coin (si vous utilisez le citron jaune pour un ti-punch, nous vous invitons à quitter la lecture ici, merci!), mais si nous avons la possibilité d’en utiliser des frais, voir des bio, c’est encore mieux ! Traditionnellement, nous pourrions même utiliser ce qu’on appelle les “petits citrons”, également connus sous le nom de “citron vert péyi”.Cette variété est plus petite que les citrons verts classiques et donne moins de jus, mais beaucoup plus d’arômes ! Malheureusement, pour nos amis métropolitains, ceux-ci ne poussent que sur nos îles et ne seront donc disponibles si vous connaissez quelqu’un qui connaît quelqu’un…
Une fois choisi votre citron vert, nous allons en sectionner un bout de zeste avec un tout petit peu de chaire, afin d’en sortir que quelques gouttes de jus, pas plus ! Beaucoup de gens pensent malheureusement que le ratio 1 Ti-Punch = 1 citron vert est normal, or non, pas du tout! Pas de quartiers, ni même de tranches dans votre verre, nous voulons un punch, pas une caïpi.
Avec ce petit zeste, nous allons effectuer un geste aussi crucial qu’important dans la préparation de notre rituel, qui est le fameux “pressé lâché”. Ce geste consiste tout simplement à presser le zeste au-dessus du verre, de manière à en extraire les quelques gouttes de jus qui donneront un peu d’amertume à votre boisson, puis à lâcher dernier en le laissant tomber dans le verre (Si vous n’êtes pas sûre de votre coup, éviter de trop vous éloigner du verre).
Passons ensuite au second ingrédient de notre Ti-Punch, qui est le sucre. Le choix de celui-ci est crucial, car il va déterminer la douceur de notre “cocktail”. Traditionnellement, nous utilisons pour celui-ci du sucre brun en grain, tout droit issu de nos sucreries locales. À défaut de sucre en grain, ou pour des raisons pratiques, nous pouvons également utiliser un “siwo” (sirop maison) préparé à base de sucre en grain et d’eau. (si à ce stade, vous utiliser du sucre blanc de betterave pour préparer votre ti-punch, nous vous invitons à rejoindre les utilisateurs de citron jaune précédemment cités). Les anciens ou puristes et surtout chanceux utiliserons de la confiture de surelles, aussi appelées « surettes cochon ». C’est une confiture faite à base d’une baie rare qui ne pousse également qu’aux Antilles.
La quantité de sucre utilisée dans votre ti-punch ne dépend que de vous et de vos goûts personnels. Si vous aimez la douceur, vous pourrez en rajouter un peu plus et n’ayez crainte si vous en avez mis de trop, il suffira de ne pas entièrement le dissoudre au moment de mélanger. En plus l’avantage, si vous en avez mis de trop, c’est que le sucre restant pourra vous servir d’excuse pour vous resservir !
Finalement, l’ingrédient final de notre punch et très certainement le plus important, le RHUM. Pour ce faire, nous allons tout d’abord, préciser que le ti-punch classique se fait avec un rhum agricole (produit à base de vesou et non de mélasse) blanc, comme nous savons si bien les faire dans nos charmantes îles. Certains me diront qu’ils préfèrent le ti-vieux, une divergence qui remplace le rhum blanc par du rhum agricole vieux, mais nous n’aborderons pas ce sujet ici. Restons dans la tradition pour aujourd’hui.
Dans le choix de votre rhum blanc, plusieurs critères peuvent entrer en jeu. Tout d’abord vos origines, si vous êtes des Antilles, car traditionnellement, vous aurez tendance à choisir le rhum qu’utilise votre tonton depuis 30 ans parce qu’il a travaillé à telle ou telle distillerie ou parce que votre mamie connaît le fils du propriétaire de telle marque depuis les bancs d’écoles… Donc, là, martiniquais, guadeloupéen ou même guyanais, je vous laisserai en débattre dans les commentaires… Ce qui compte, c’est que le rhum blanc en question, doit faire au moins 50° (il faut bien faire tourner la machine). Bien évidemment, si vous le préférez plus corsé, vous augmenterez le degré d’alcool à 55°, 59°, 62° et pour les plus téméraires d’entre nous, nous nous dirigerons vers certains rhums allant jusqu’à 70° voir 73,5°. (Petit conseil aux fumeurs, éviter la clope en même temps pour des raisons évidentes…)
Ici aussi, comme pour le sucre, c’est une question de dosage en fonction de votre goût. N’oubliez tout de même pas que c’est un ti-punch et non un gwo-punch et qu’en cas de grande soif, vous aurez bien évidemment le droit de vous resservir. Dans notre exemple, nous mettrons environ 2cl de rhum.
Instant final avant la dégustation tant attendu, nous allons mélanger les ingrédients ! La majorité des gens une fois de plus, utiliserons pour ceci une simple cuillère à café, d’autres, plus techniques (et peut-être plus “m’as-tu-vue?”) utiliserons un bois-lélé (un touilleur traditionnellement en bois “QUARARIBEA TURBINATA” avec un bout en forme d’étoile à prix exorbitant, selon moi uniquement indispensable pour épater la galerie).
Les plus habile (bon d’accord, les plus habitués alors…), feront simplement tourbillonner le rhum dans leur verre en faisant des mouvements circulaires continus comme on fait pour oxyder un vin, jusqu’à ce que la quantité de sucre souhaité se soit dissoute dans le rhum.
Ensuite, il ne suffira plus qu’à le déguster en bonne compagnie autour d’une table avec des dominos et quelques accras pour profiter d’un bon moment de convivialité, car le ti-punch et le rhum sont avant tout synonymes de partage, une valeur si chère à la culture créole.
Dernière chose importante, il est coutume que chacun prépare son propre ti-punch pour être certain que celui-ci est à son goût (donc au final, glaçons, citron jaune, sucre blanc ou rhum de mélasse, à vous de voir tant que ça vous convient!), d’où le dicton “chacun prépare sa propre mort”, car ne l’oublions pas, l’alcool est dangereux pour la santé.
En attendant de vous croiser autour d’un punch et de débattre sur les us et coutumes de la préparation de votre punch ou de qui fait le meilleur rhum au Monde, je vous dis “Santé” et à bientôt, Thia attend son ti-punch…
Benoit Bail.